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La limace bleue
21 septembre 2015

Les fantômes du 7 janvier

Personne ne les voit. Personne ne parle d'elles. Personne ne sait qu'elles existent ou qu'elles auraient pu ou du être montrées au public. Ce sont des créations, victimes de la censure ou de l'autocensure, restées dans la tête des artistes ou cachées dans des cartons, par la faute de responsables culturels, voire à cause de cette peur qui nous transforme nous-mêmes en censeurs "à l'insu de notre plein gré". Deux de ces fantômes de l'art, nés à la suite des attentats du 7 janvier à Charlie Hebdo, hantent depuis le 12 juin 2015 la Villa Tamaris, centre d'art de la Seyne sur Mer qui accueille jusqu'au 6 septembre prochain l'exposition collective "C'est la Nuit". Le premier de ces spectres est une vidéo de l'artiste d'origine marocaine Mounir Fatmi: "Sleep al naïm" met en scène le sommeil virtuel de Salman Rushdie, écrivain condamné à mort en 1989 par une fatwa de l'imam Khomeiny, levée par l'Iran en 1998 mais reprise ensuite par Al-Qaïda. Cette pièce avait été officiellement commandée par la Villa Tamaris avant les événements du 7 et du 9 janvier. Puis, sans la moindre pression de quiconque, le directeur du centre d'art a pris peur. Malgré son "accord avec le sens" de l'œuvre, pour éviter "des incompréhensions et des manipulations qui nous entraineraient dans des polémiques stériles et dangereuses". Robert Bonaccorsi a enlevé de son programme l'hommage en 3D à l'auteur des Versets sataniques, perdu dans ses rêves. Autrement dit: le directeur du centre d'art a inventé le concept de censure préventive. Le second fantôme de la Villa Tamaris est un néon de Claude Lévêque: "Rêvez!". En février, sur un site Internet annonçant la manifestation, il servait encore d'accroche à l'exposition "C'est la Nuit". Sauf que Claude Lévêque, lorsqu'il a appris que "Sleep al naïm" avait été censuré, a décidé de retirer son œuvre. Solidaire de Mounir Fatmi, l'artiste a expliqué dans un message au directeur du centre d'art: "Je ne peux participer à une exposition qui censure la liberté des artistes de dire le réel. Je ne vois pas en quoi je serais lié à un type d'événement qui se soustrait à la réalité du monde. Il n'est pas acceptable de se plier aux diktats et pressions qui anéantissent la pensée et nous rendent vulnérables dans nos résistances et vigilances." Hommage décalé au film Sleep d'Andy Warhol en 1963, la vidéo de Mounir Fatmi collait à la thématique de la "nuit". Elle devait prendre place à la Villa Tamaris aux côtés des œuvres de plasticiens tels Gérard Fromanger, Jean Le Gac, Jacques Monory ou Alain Fleisher. Contrairement à Claude Lévêque, eux n'ont pas réagi à la censure. N'étaient-ils pas au courant? Les fantômes étaient-ils trop discrets pour susciter leur colère, à eux aussi? Dans le livre que nous avons écrit ensemble, Ceci n'est pas un blasphème, Mounir Fatmi rompt la loi du silence. Loi que la plasticienne ORLAN a brisée le 24 janvier 2015 en incitant les artistes de l'exposition collective Femina ou la réappropriation des modèles, au Pavillon Vendôme à Clichy-la-Garenne, à décrocher leurs œuvres en réponse à la censure maquillée en autocensure dont avait été la victime Zoulikha Bouabdellah. Au-delà de cet autre fantôme du 7 janvier qu'est devenue l'installation "Silence" de l'artiste algérienne, mounir fatmi présente dans Ceci n'est pas un blasphème plusieurs cas de censure et d'autocensure: de ses Printemps perdus, décrochés au Qatar et rangés aux oubliettes en Chine et à Cuba, jusqu'à God is Great, œuvre qui devait mettre en scène l'effeuillage des pages du Coran par les doigts aux ongles rouges de la main d'une femme, restée à l'état de concept...

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